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L’eau : or bleu de la viticulture. L’exemple israélien.

L’eau : or bleu de la viticulture. L’exemple israélien.

Alain CARBONNEAU Professeur de Viticulture

En raison du changement climatique l’eau est devenue un enjeu majeur pour la viticulture de la majorité des régions dans le monde, à tel point que l’on peut parler ‘d’or bleu’ tant les enjeux sont considérables. Nous nous appuierons sur l’exemple israélien pour justifier des solutions à ce problème clé.

Concernant les solutions à trouver, il y a des points de consensus, des points de discussion et des points de divergence entre divers protagonistes.

1/ Au rang des consensus, il convient certainement de mettre, quand il s’avère nécessaire, le recours à une irrigation au goutte-à-goutte qualitative pilotée en fonction des besoins de la vigne. Les travaux de l’INRA Pech Rouge et de Montpellier SupAgro recueillent des opinions favorables assez générales. Ces travaux incluent également un autre élément consensuel, l’utilisation d’eaux usées recyclées d’origine urbaine voisine ou la récupération des effluents de cave.

A ce niveau il est particulièrement intéressant de communiquer sur l’exemple israélien. En effet ce pays est déjà à l’origine de la technique du goutte-à-goutte qui permet une économie et une optimisation de l’eau par les cultures. En Israël on peut constater la généralisation de cette technique d’irrigation pour de nombreuses cultures intensives. La figure 1 montre une culture de raisin de table sous serre plastic, cépage apyrène Perlette, conduit en Pergolette dans la région très précoce de la mer morte, qui profite pleinement du goutte-à-goutte dans ce secteur de la vallée du Jourdain où l’eau est si précieuse. La figure 2 illustre l’usage de cet outil dans une autre culture, ici très traditionnelle, une palmeraie près de Massada.

Figure 1. Pergolette de Perlette conduite sous serre plastic et avec goutte-à-goutte dans le secteur de Jéricho.

Figure 2. Palmeraie de variétés ancestrales produisant des dattes particulièrement succulentes, dans le désert du secteur de Jéricho alimentée par des rampes de goutte-à-goutte (visible sur les jeunes plantations).

De nos jours, le point remarquable n’est plus la technique elle-même, mais l’eau que l’on utilise pour l’irrigation des cultures, chez les professionnels comme chez les particuliers. En effet tout un système de récupération des eaux usées à usage agricole ou horticole est organisé en un réseau généralisé qui double celui de l’eau potable. La figure 3 montre dans un jardin privé la conduite d’eau à usage horticole qui double celle de l’eau domestique.

Figure 3. Conduite d’eau en bleu réservée à l’usage horticole des eaux de recyclage, au-dessus de la conduite d’eau potable à usage domestique (jardin privé en Galilée à Zichron Yaakov).

L’exemple israélien mérite d’être généralisé car il a fait la preuve à grande échelle de sa faisabilité et de son intérêt. Des aménagements de ce type existent aussi en Australie avec la récupération des eaux usées d’Adélaïde. Rappelons aussi qu’en Israël on trouve des centrales de production d’eau douce par désalinisation de l’eau de mer utilisant l’énergie solaire et des membranes semi-perméables parmi les plus performantes au monde !

2/ Au rang des discussions, il y a le travail en amont sur l’économie de l’eau dont le principe recueille certes un accord général, mais dont l’efficacité est largement discutée. Planter des cépages économes en eau est un avis partagé. Cependant, certains semblent considérer qu’une telle mesure serait suffisante pour résoudre les problèmes d’adaptation de la filière vitivinicole, ceci afin d’éviter le recours à l’irrigation. A ce niveau, il convient d’être réaliste. Autant le recours à de tels cépages ou la sélection de nouvelles variétés dans ce sens est souhaitable, autant il faut être conscient que le gain d’économie ou d’efficience de l’eau est d’un niveau très significativement inférieur à celui qui est imposé par l’augmentation en demande transpiratoire provoquée par le changement climatique. Rappelons ici que la tolérance à la sécheresse passe par une bonne efficience de l’eau (production donnée avec le minimum d’eau), et non par la seule économie qui aboutirait à une perte drastique de production.

En outre, certains choix peuvent s’avérer pervers, comme celui du ‘retour du Carignan’ dans le midi viticole. Le passé récent a montré que ce cépage ne pouvait produire des vins de qualité acceptés par les consommateurs que dans des terroirs bien particuliers et souvent sur des vieilles vignes. Il ne s’agit pas d’oublier une génération d’effort en amélioration qualitative par les cépages ! Il y a des choix plus pertinents de cépages tolérants à la sécheresse, comme ceux en premier du Marselan ou du Cabestrel, en attendant certains hybrides résistants et qualitatifs adaptés aux situations méditerranéennes !

Rappelons aussi un élément fondamental, qui a provisoirement disparu du paysage des discussions, qui est le système cultural : rôle majeur de la préparation et de l’entretien du sol, plantations en rangs larges (3m – 3,5m) avec une conduite favorisant l’exposition du feuillage (ex : Lyre) qui induit un enracinement puissant capable de mieux explorer le réservoir hydrique profond (moins riche en azote), facteur qualitatif reconnu dans plusieurs terroirs.

3/ Au rang des divergences, il faut revenir sur les ressources en eau. Un certain accord concerne l’utilisation des canaux d’irrigation et de puits. Cependant, en général ceci concerne les zones de plaine, ou de faible pente ou altitude, là où l’importance de l’irrigation d’appoint existe mais de façon moins cruciale que dans les terroirs vraiment secs. Dans ces derniers, le point qui fait apparaître des divergences est celui de l’installation de retenues d’eau ou de lacs collinaires. Le conflit est même ouvert entre une tendance qui privilégiant l’écologie et le principe de précaution s’oppose à la généralisation des retenues sous prétexte qu’elles vont porter atteinte au renouvellement des nappes phréatiques déjà réduit, et une autre tendance qui trouve dans cet outil une solution clé pour la viticulture et un résultat neutre sur l’environnement. Essayons d’être objectifs.

Tout d’abord les avantages des retenues d’eau :

  • Elles sont localisées au lieu d’utilisation et généralisables dans de nombreuses situations, notamment celles où l’accès à l’eau (canaux, puits aussi) est impossible.
  • Pour des irrigations d’appoint, on retient en général 50mm/an en été, soit 500m3/ha, ce qui correspond à un petit lac de 5000m3 pour 10ha (par exemple : 50m de long x 20m de large x 5m de profondeur). Ces micro-retenues sont donc assez facilement faisables.
  • Le principe des retenues est de se remplir hors-saison grâce à des pluies souvent abondantes à l’automne, en captant surtout le ruissellement qui va rendre l’eau à la mer au bout de la chaîne.
  • Le pompage dans les lacs collinaires évite celui dans des cours d’eau déficitaires l’été et ainsi régularise l’usage de l’eau dans l’espace et le temps.

Les inconvénients des retenues d’eau :

  • Un réseau de lacs collinaires va réduire l’alimentation des nappes phréatiques au moment de leur recharge après l’été.
  • Un lac collinaire va augmenter une évaporation relativement élevée, et donc une perte d’eau au plan local.
  • Un lac collinaire a un coût d’installation et de fonctionnement (filtrage de l’eau, entretien) qu’il faut prendre en compte.

Les avantages paraissent assez clairs. En revanche les inconvénients méritent discussion. Le coût est réel, mais doit être mis en rapport avec les bénéfices attendus au vignoble comme l’assurance de survie et de production, la maîtrise de la qualité qui en sont nettement améliorées. La perte par évaporation (qui peut d’ailleurs être annulée avec des ‘outres plastic’) doit être mise en rapport avec celle des cours d’eau : retenir de l’eau dans les lacs offre pour le même volume d’eau finalement moins de surface évaporative que celle des cours d’eau sur des dizaines de kilomètres jusqu’à la mer ! Enfin la réduction de la recharge des nappes existe car l’eau retenue est certes sans doute majoritairement celle de ruissellement, mais une partie (à chiffrer selon les situations de sol et de topographie) est celle d’infiltration. C’est certainement là l’inconvénient des retenues d’eau. Mais ce problème n’a-t-il pas de solution ?

Justement si le réseau de retenues collinaires est largement généralisé, et si la recharge des nappes apparait trop faible, un contrat peut être passé avec les propriétaires pour une remise au sous-sol d’une partie du volume capté, sachant que ce captage présente l’avantage majeur de profiter d’abord du ruissellement qui est normalement perdu! Un relatif surdimensionnement des lacs collinaires peut être une solution collective efficace !

L’eau, cet or bleu de la viticulture et de nos territoires, doit devenir un enjeu prioritaire pour toute politique régionale…

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