Chronique 2018.05

La Counoise : Un cépage très particulier !
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Alain CARBONNEAU

 

Au moment où l’on cherche à valoriser la diversité génétique, le choix de la Counoise mérite considération. Voici un recueil d’informations la concernant, certaines étant originales.

 

Sur un plan personnel, ma première rencontre avec la Counoise remonte à la période 1972-1980 lorsque, jeune chercheur à l’INRA Bordeaux, j’étudiais l’hérédité des caractères sexuels dans le genre Vitis. A cette époque, les modèles classiques montraient que les croisements entre hermaphrodites donnaient dans leurs descendances des individus hermaphrodites ou femelles, mais jamais mâles. Certaines observations étaient pourtant en contradiction, car en particulier certains cépages hermaphrodites (ils le sont quasiment tous) pouvaient donner des mâles dans leur descendance, parfois abondamment ce qui excluait la possibilité de contaminations polliniques limitées durant la pollinisation suivant la castration. Paul Truel, sélectionneur de nombreuses variétés, comme le Marselan, m’avait alors montré de telles observations réalisées au domaine de Vassal. La Counoise croisée avec le Cabernet franc avait donné presque ¼ de mâles dans la descendance, de même que l’Aleatico. J’avais donc décidé de croiser Counoise par Aleatico afin de rassembler les allèles favorables à l’expression du caractère mâle dans les croisements entre hermaphrodites. Paul Truel avec enthousiasme réalisa ce croisement ‘Counoise x Aleatico’ qui révéla quelques années plus tard dans sa descendance une bonne moitié de mâles. Ce résultat spectaculaire me permit de publier un nouveau modèle génétique et de montrer l’existence d’un gène suppresseur d’une mutation de stérilité mâle (Carbonneau A., 1983. Stérilités mâle et femelle dans le genre Vitis. I- Modélisation de leur hérédité. Agronomie, 3(7), 635-644). La Counoise présente donc cette particularité génétique d’avoir un allèle dominant d’un gène suppresseur de la stérilité mâle. Pas de quoi en tirer une application viticole, mais une indication que ce cépage a eu une évolution génétique sommes toutes un peu particulière !

 

 

Pierre Galet (L’ampélographie française, 1990) rapporte que la Counoise a souvent été confondue avec l’Aubun car assez proches sur le plan ampélographique. Cependant la Counoise possède des caractères distinctifs de l’Aubun comme un port beaucoup moins retombant, des sarments jaune clair à nœuds violets, ou une absence de dents à l’intérieur du sinus pétiolaire (en lyre fermée avec chevauchement). La figure ci-après montre feuille et grappe de Counoise.

 

    

 

 

 

Aptitudes : la Counoise débourre et mûrit relativement tard et une semaine plus tard que l’Aubun ; elle est vigoureuse ; ses rendements sont relativement faibles et inférieurs à ceux de l’Aubun ; les vins de Counoise sont plus riches en alcool et polyphénols, plus fins et plus aromatiques (fruités : prune, mure ; épicés). En tout cas, cette proximité globale a été confirmée par le lien de parenté direct (père ou mère ou pleins frères/sœurs) entre Aubun et Counoise qui partagent la moitié de leurs allèles sur les 20 loci étudiés (Thierry Lacombe et al., site web ‘les cépages’ et comm.pers.).

 

L’Aubun est reconnu comme particulièrement rustique face à la sécheresse, assez tolérant vis-à-vis de l’oïdium, du mildiou et de la pourriture. Ce sont ces raisons qui ont conduit Alain Bouquet (comm.pers.) à choisir l’Aubun comme géniteur de rétrocroisement vers Vinifera de niveau 4 dans le programme d’hybridation ‘Rotundifolia x Vinifera’. La Counoise a la réputation d’avoir partagé avec l’Aubun ces caractéristiques de rusticité, un peu moins sans doute vis-à-vis de la pourriture du raisin.

 

La Counoise fait partie des 13 cépages de l’appellation Châteauneuf du Pape, mais pas l’Aubun. Sur le plan historique les deux cépages sont cultivés, depuis le plus longtemps connu, en Vaucluse dans le piémont du Ventoux, et plus récemment et de façon plus sporadique dans le reste de la Provence et en Languedoc. Il est rapporté que la Counoise serait d'origine espagnole, offerte à Urbain V par un vice-légat nommé Counesa alors que la papauté était établie en Avignon. Quid de l’Aubun ?

 

Sur le plan de la réputation des vins, l’Aubun apparait surtout comme apte à produire un bon petit vin léger sans caractère vraiment affirmé. La Counoise, en revanche, est reconnue comme ayant un potentiel qualitatif bien meilleur et des caractéristiques sensorielles originales. Certains domaines de Châteauneuf du Pape reviennent à l’usage des treize cépages afin notamment d’étoffer pour les vins rouges le couple de base ‘Grenache noir dominant et Syrah’. Il semble bien en résulter une amplification de la complexité des vins qui est déjà assez grande. Je m’appuie en cela sur le témoignage de Paul Coulon propriétaire du célèbre cru du Domaine de Beaurenard ; la dernière réalisation de la famille Coulon est la cuvée gran partita à la fraîcheur et à la complexité remarquables grâce à la ‘symphonie’ entre Grenache noir, Syrah, Mourvèdre, Muscardin et Counoise notamment.

 

La Counoise s’invite aussi dans des créations plus récentes de vins de haut de gamme dans des crus comme ceux de la moyenne vallée de l’Hérault et des Terrasses du Larzac. Laurent Vaillé propriétaire de la célèbre ‘Grange des Pères’ à Aniane, a retenu la Counoise dans son panel de cépages avec Mourvèdre, Syrah et Cabernet-Sauvignon qui lui permet de figurer au firmament des grands vins du Languedoc et de France. Une récente dégustation du vin de Counoise 2017 en barriques, suite à une vendange à pleine maturité, a révélé le haut potentiel de ce cépage : couleur violette brillante, nez intense et complexe d’épices, de notes empyreumatiques et de petits fruits sauvages, arôme de bouche persistant de petits fruits noirs mûrs, belle structure avec une grande finesse des tannins, relativement corsé, et finalement bien équilibré.

 

 

Alors finalement, la Counoise ne mérite-t-elle pas ses lettres de noblesse ?

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