Chronique 2017.10

 

Risques de dégâts sur la vigne liés à des pollutions atmosphériques
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Alain CARBONNEAU, Ecophysiologiste, Professeur de Viticulture émérite,Montpellier SupAgro
Marie-Annette CARBONNEAU, Chimiste-Biochimiste, Enseignant-Chercheur, Faculté de Médecine, Université de Montpellier

 

Introduction :

Dans le cadre de l’étude d’impact des effluents gazeux de l’usine de traitement AREVA de Narbonne, voici une estimation des risques potentiels encourus par les vignobles alentour.

Cette étude est effectuée à la demande d’André Bories, Docteur en Sciences, Directeur de recherche honoraire INRA, Sciences de l'Environnement.

 

Sources d’information :

  • Expériences personnelles en Viticulture, Écophysiologie, Physiologie, Biochimie et Chimie.

  • Rapports généraux sur les polluants et leurs effets, et sur le Traitement Des Nitrates – TDN (sources wikipedia ; Guermazi Wassim, traité sur la pollution, Université de Gabès - Tunisie, internet).

  • Impacts environnementaux et incertitudes du traitement TDN des effluents de production de tétrafluorure d'uranium d'AREVA NC Malvési Narbonne (Association RUBRESUS).

  • Alternatives au procédé THOR de traitement des effluents d’AREVA Malvési Narbonne ; étude de la note technique AREVA ; examen de solutions alternatives (André Bories).

  • Comparaison des rejets atmosphériques du traitement TDN AREVA Malvési avec l'incinérateur de Lunel. Résumé (Association RUBRESUS).

 

Les polluants atmosphériques directs ou primaires du vignoble:

La beauté d’un paysage (figure 1) ne doit pas faire oublier la qualité de son environnement dans sa partie invisible.

 

Figure 1. Vignoble expérimental de l’INRA Pech Rouge, sur le massif de la Clape en région Narbonnaise. Noter l’harmonie entre la vigne, la forêt de pins et la côte méditerranéenne (crédit : Alain Carbonneau).

 

Il existe une série de composés toxiques pour les plantes en général et donc la vigne.  Mais leur dangerosité dépend naturellement de leur concentration dans l’atmosphère. Cet ‘effet dose’ est généralement mal connu, ce qui limite cette étude à son aspect de ‘risque potentiel’.

 

Les composés généralement reconnus pour leurs effets polluants dans l’atmosphère se rangent dans deux catégories :

 

a) Les polluants gazeux :

 

 

b) Les polluants particulaires :

 

NB : Les composés en surbrillance jaune sont ceux qui sont particulièrement concernés par l’étude.

 

Parmi les composés azotés (NOx), seul le dioxyde ou peroxyde d’azote NO2 est phytotoxique. La vigne est sensible au NO2 qui possède un rôle perturbateur de mécanismes biochimiques et destructeur de certaines structures comme la chlorophylle. Signalons dès maintenant que cette agressivité est moindre que celle provoquée par l’ozone O3. Elle est en revanche supérieure à celle du dioxyde de soufre SO2, la vigne faisant partie avec le maïs et des arbres fruitiers des espèces peu sensibles. Il faut néanmoins, par précaution, relativiser cette tolérance en rappelant l’étude d’impact sans suite notable dans le sud-ouest déclenchée dans les années "70-80" suite à certains dégâts supposés être occasionnés par la raffinerie de Lacq (gaz très riche en composés soufrés) sur les vignobles environnants (Alain Carbonneau, com.pers.). Il faut enfin noter le manque de connaissance des mécanismes expliquant l’agressivité de ces polluants au niveau de la plante, ce qui limite l’estimation et la prédiction de leur impact. Néanmoins certains symptômes sont identifiables.

 

Les polluants captables par le raisin :

Le raisin (ou baie de la vigne), en raison du nombre très limité de ses stomates et contrairement aux feuilles, échange peu avec l’atmosphère. Néanmoins la cuticule permet certains échanges. Surtout la pruine du raisin qui est en fait une couche de cires, peut fixer des composés liposolubles (figure 2) et en particulier les composés à cycle benzénique qui font partie des polluants. Ces derniers sont surtout liés à la combustion des moteurs des véhicules, mais toute action de combustion, y compris dans des buts de dépollution, doit s’assurer du niveau de ces composés. Signalons au passage que certains éléments environnementaux ont été l’objet d’études au niveau du raisin. Concernant les effets supposés de pollution, des études ont été menées en vallée du Rhône et en Gironde à proximité des voies à grande circulation afin de tester notamment la présence de plomb dans les raisins ; l’information que nous avions recueillie a fait état d’un risque négligeable, sans doute lié au fait que tout ce qui est hydrosoluble – et non liposoluble – n’est que peu présent dans le raisin et le vin qui en découle (Alain Carbonneau, com.pers.).

 

Figure 2. Raisins sur la pellicule desquels on note une poudre blanchâtre qui est la pruine, couche lipidique protectrice qui abrite en particulier la microflore levurienne indigène et qui peut fixer et laisser traverser des composés liposolubles (source Vignes et Vins.com). Noter que les raisins habituellement qualifiés de "noirs" sont en fait de couleur bleue (les raisins ‘blancs’ sont de couleur jaune ; les raisins ‘gris’ sont de couleur rose).

 

Parmi les polluants liposolubles, il convient de retenir : les polluants gazeux comme le benzène C6H6 et les Composés Organiques Volatils (COV), et les polluants particulaires comme les hydrocarbures (Benzo(a)pyrène). Rappelons qu’en général les composés de nature benzénique sont particulièrement dangereux pour la santé humaine, en particulier en raison de leur capacité cancérogène.

 

Les polluants induits ou secondaires ; cas de l’ozone sur la vigne:

Certains polluants résultent d’une réaction chimique entre des polluants originels et des composés de l’atmosphère. Le cas de l’ozone (O3) est particulièrement intéressant, en notant qu’il s’agit ici des basses couches de l’atmosphère où il est considéré comme polluant et agressif et non de la stratosphère où il joue un rôle protecteur vis-à-vis des rayonnements ultra-violet. Le mécanisme de cette pollution est de nature photochimique. Il est reconnu que dans la basse troposphère l'accroissement de la teneur en ozone provoqué par la pollution atmosphérique résulte en particulier de la présence simultanée d'hydrocarbures imbrûlés et d'oxydes d'azote dans l'air urbain. La dissociation du dioxyde d’azote (NO2) par le rayonnement ultra-violet (lié au flux de photons hν), cette réaction constituant la principale source d’oxygène atomique (O) dans les basses couches de l’atmosphère :

 

NO2 + hν O + NO (1)

L’oxygène atomique se combinant à l’oxygène moléculaire (O2) pour former l’ozone :


O + O2
O3 (2)


La production d’ozone étant toutefois limitée par sa réaction sur le monoxyde d’azote :


NO + O3
NO2 + O2 (3)


En sus des réactions (1) et (2) on note dans les atmosphères polluées d'autres réactions de formation de O3 à partir de NO2, CO et de CH4 :


CO + 2O2
CO2 + O3


ou:


CH4 + 4 O2 + hν
CH2O + H2O + 2O3

 


Le formaldéhyde (CH2O) formé peut entrer dans un nouveau cycle d'oxydation produisant à nouveau de l'ozone. L'ozone réagit ensuite avec les aéropolluants et donne des polluants tertiaires dont les PAN (peroxyacylnitrates).


Il est important de signaler, malgré le manque de connaissance, qu’un des effets majeurs de l’ozone est certainement de perturber les métabolismes fondamentaux où l’oxygène est impliqué, potentiellement : respiration mitochondriale, photorespiration des peroxysomes, photosynthèse.


Un exemple de symptôme de l’agressivité de l’ozone est illustré en figure 3.

 

Figure 3. Dégâts d’ozone sur feuille de soja (source wikipedia). Les symptômes sur vigne sont similaires : jaunissement ponctuel, partiel ou total du limbe maculé de petites nécroses noirâtres. Ces observations ont été faites dans des vignobles du nord de l’état de New York vers Geneva NY où la pollution était apportée par les vents à partir des grandes et vieilles zones industrielles de la région des grands lacs comme Buffalo (Alain Carbonneau, mission dans l’état de New York en 1974, com.pers.).

 

Conclusion :

Les risques potentiels de pollution avec dégâts sur les vignobles existent bien. Il convient de surveiller attentivement la teneur dans l’atmosphère des éléments mis en exergue, l’ozone en particulier dont on connait la symptomatologie sur la vigne. En raison de l’intensification de l’activité de l’usine AREVA Malvési  près de Narbonne, une surveillance environnementale et viticole s’impose.

 

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