Chronique 2017.09

 

La course à la plus vieille origine œnologique
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Alain CARBONNEAU


 

 

L’histoire est de plus en plus présente dans notre filière vitivinicole, et c’est une excellente chose pour communiquer autour du terroir. La mare nostrum n’en finit pas de révéler ses secrets, ce qu’illustre la figure 1 du site romain de Tipaza en Algérie.

 

 

Figure 1. Côte méditerranéenne au site romain de Tipaza
à 70km à l’ouest d’Alger – Algérie (crédit : Alain Carbonneau).

 

 


Cependant il semble que désormais le marketing publicitaire s’en empare, et c’est un peu la course au sensationnel. En voici un exemple tiré d’une dépêche sur internet de l’AFP, publiée le mercredi 30 août 2017 à 16h30 :

 

« Le vin le plus vieux de monde pourrait bien être italien: une équipe de chercheurs vient en effet de découvrir sur la côte ouest de la Sicile des traces de raisin fermenté remontant à 4.000 ans avant notre ère.

 

"Lorsque nous avons publié notre article, nous n'imaginions pas qu'il pourrait s'agir du vin le plus vieux jamais découvert mais les informations qui nous parviennent nous portent à croire que c'est peut-être le cas", explique à l'AFP Enrico Greco, chimiste à l'Université de Catane (Sicile).

 

Le scientifique fait partie du groupe international de chercheurs, coordonné par l'archéologue italien Davide Tanasi (de l'Université de la Floride du sud), à l'origine de la découverte publiée dans la revue Microchemical Journal.

 

 

L'équipe a étudié des résidus contenus dans des jarres découvertes dans une grotte située sur le mont Kronio, près d'Agrigente, "probablement un site votif où l'on apportait des offrandes à des divinités", explique Enrico Greco.

 

"Le fait que ces poteries se trouvent dans une grotte leur a évité l'ensevelissement, ce qui a permis à leur contenu de se conserver, même s'il s'est solidifié au fil des siècles", précise-t-il. 

 

Plusieurs techniques d'analyse combinées, dont l'une par résonance magnétique nucléaire, ont révélé une présence importante d'acide tartrique, l'acide le plus abondant des acides du raisin.

 

"Nous avons exclu que cela puisse être des résidus gras dérivés de viande ou d'huile et, comme il n'y avait pas de traces de graines ou de peau de raisin, nous en avons déduit qu'il s'agissait de raisin fermenté", poursuit M. Greco.

 

Après l'analyse du contenu par les chimistes, les archéologues ont procédé à la datation du contenant en comparant les poteries à d'autres vases provenant de sites voisins.

 

Selon leurs conclusions, celles-ci remonteraient aux environs du 4e millénaire avant J.C, soit 3.000 ans plus tôt que les premières traces de viticulture répertoriées en Italie, plus précisément en Sardaigne.

 

Quant à savoir s'il s'agit du plus vieux vin du monde, les scientifiques restent prudents. "Il y a eu des découvertes datant de la même époque en Arménie, mais il semble qu'il s'agisse de breuvage issu de la fermentation de grenade et non de raisin", indique Enrico Greco.

 

"Il existe aussi des attestations plus anciennes en Chine de fermentation de riz, mais seulement sous forme de représentations", conclut-il. ».

 

Cette découverte, fort intéressante en soi, est présentée dans ce qui semble bien être une ignorance de certains faits précis ou généraux. En particulier, il faut tout de même rappeler, et ceci sans minimiser l’apport de la Sicile à l’histoire de la vigne et du vin, l’antériorité générale de civilisation du moyen orient – en Mésopotamie notamment – par rapport à la Grèce ou la Sicile, et à la présence du centre d’origine principal des Vitis en Transcaucasie. Sur des éléments plus précis, comme des observations archéologiques en Arménie et Géorgie, les auteurs cités par l’AFP mettent en doute le diagnostic d’autres scientifiques en disant que les breuvages supposés avoir été contenus dans certaines poteries seraient plutôt des fermentés de grenade que de raisin.

 

Cette assertion me fait personnellement réagir car la présence d’une œnologie au Néolithique (milieu et fin de cette période préhistorique) a été attestée, dans une zone allant de la Transcaucasie à la Mésopotamie et à la Cappadoce, par plusieurs scientifiques en association du reste avec la présence de pépins de raisins dûment identifiés, et donc à une période antérieure d’environ 2000 ans à celle notée en Sicile ! Un seul exemple : celui de la découverte, dans le nord de la Turquie, de grains de blé et de pépins de raisins, peut-être cultivés, avec des vestiges oenologiques, sur le site de Çayönu daté du 7ème  millénaire avant notre ère.

 

Je voudrais apporter un témoignage de ce que j’avais observé en Arménie à proximité d’Erevan en 1994. A proximité d’Erevan sur un site qui sera plus tard occupé par des temples grecs, un chai avec des jarres de terre cuite (‘dolia’ en latin) enterrées, datant d’environ 6000 ans avant Jésus-Christ d’après un collègue universitaire d’Erevan M Hovanessian, a été mis au jour ; leur fonction de contenance de vin a été attestée par des traces de tartrate, avec en outre au goulot des traces de substances lipidiques, montrant que l’homme du Néolithique savait qu’il fallait protéger le vin de l’oxydation (huile ou graisse flottant au sommet de la jarre en sa partie resserrée du goulot), tout comme des pics de température (installation des jarres dans la terre). Logiquement, à ce jour, les plus vieux vins du monde restent selon toute vraisemblance ceux du proche Orient.

 

NB : L’occasion est donnée de signaler que les premiers vins ont très probablement été des rosés de pressée à partir de raisins noirs (couleur largement majoritaire) de vigne sauvage (Vitis vinifera silvestris) foulés sur des plateformes à ciel ouvert qui ont d’ailleurs été retrouvées en plusieurs endroits(Arménie, Géorgie, Cappadoce, Thrace). Dans ce contexte, l’homme du Néolithique a sans doute su faire d’abord le vin à partir de raisins sauvages récoltés dans les bois, avant de savoir cultiver et sélectionner la vigne Vitis vinifera sativa. Pour cette raison, entre autres, Jean-Louis Escudier et moi-même avons intitulé notre ouvrage récemment publié chez QUAE ‘De l’Œnologie à la Viticulture’ !

 

Un autre point de ce communiqué de l’AFP mérite une discussion : c’est la mention de la présence dans de tels vestiges œnologiques de fermenté de grenade et non de raisin. Il est fort possible en effet que ce soit le cas, ce qui n’élimine pas la présence de vin dans ces mêmes sites ou d’autres, surtout si on y trouve des pépins de raisin. Mais il est remarquable de noter aux temps préhistoriques, bibliques et historiques, l’association de ces deux plantes : la vigne et le grenadier. Dans la symbolique de ces plantes, de leurs fruits et dérivés, la vigne et le vin peuvent être considérés comme des liens avec la divinité et l’éternité, alors que la grenade exprimerait la fertilité et la beauté. La série des figures suivantes démontre cette proximité de la vigne et du grenadier au cœur des cultures arméniennes et géorgiennes.

 

En Arménie, la figure 2 présente un bas-relief illustrant l’association ‘vigne – grenadier’.

 

 

 

Figure 2. Fronton de l’église paléochrétienne du monastère de Gérart près d’Erevan
où l’on remarque clairement la vigne et le grenadier emmêlés, branches et fruits,
exprimant le lien entre divinité, éternité, fécondité et beauté (crédit : Alain Carbonneau).

 

 


En Géorgie ma participation au congrès de l’OIV en 2010 m’a permis de visiter le monastère orthodoxe d’Alaverdi en Kakhétie (figure 3), haut lieu chrétien, stratégique et historique.

 

 

 


Figure 3. Monastère orthodoxe d’Alaverdi en cours de restauration et de fouille archéologique, en Kakhétie – Géorgie (crédit : Alain Carbonneau).

 

 

Ici, une fois encore, mais de façon vivante, le lien entre vigne et grenadier est matérialisé comme en atteste la figure 4.

 

 

 

 


Figure 4.
Jardin intérieur du monastère d’Alaverdi où des rangées de grenadier
entourent un petit vignoble sur échalas de Rzatziteli (crédit : Alain Carbonneau).

 

 

Dans ce monastère d’Alaverdi on a retrouvé un chai néolithique (figures 5 et 6) qui est une illustration de la technicité de l’homme à la fin de cette période.

 

 


Figure 5 (gauche) : site de fouille du chai du Néolithique dans la cour intérieure du monastère d’Alaverdi en Kakhétie – Géorgie (crédit : Alain Carbonneau).


Figure 6 (droite) : grandes jarres de terre cuite enterrées ou ‘kveri’ dans lesquelles sont vinifiées les grappes de raisins ; le chai est constitué de dizaines de ‘kveris’ et d’une réserve d’eau pour l’entretien (crédit : Alain Carbonneau).

 

 

Il est à noter qu’actuellement les moines élaborent un vin selon ces procédés ancestraux, à partir du grand cépage Rkatziteli, en jarres enterrées, avec un raisin sur-mûri (la récolte est décidée quand la rafle est mûre et le raisin légèrement flétri) non éraflé et sans SO2 (certaines substances phénoliques de la rafle possèdent sans doute des propriétés antiseptiques), le tout aboutissant à un remarquable vin moelleux/liquoreux, ce dont les congressistes de l’OIV peuvent témoigner.

 

Alors qui est le plus vieux vin ?

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