Chronique 2017.08

 

La magie des assemblages.
L'exemple inédit du "Pinot noir - Petit Verdot"
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Alain CARBONNEAU


 

L’assemblage des vins est une pratique largement répandue mais qui se conçoit de manière différente :

  • L’assemblage systématique de plusieurs cépages avec une recherche de complémentarité de typicité ; par exemple en Bordelais ou dans de nombreux vignobles du monde: Cabernet-Sauvignon apportant structure tannique et acide, assemblé au Merlot améliorant l’équilibre tout en complétant la palette aromatique avec des notes fruitées complémentaires ; exemple similaire avec la Syrah et le Grenache noir en terroir méditerranéen; il est à noter que la proportion de ces cépages complémentaires varie selon la marque sensorielle du millésime lorsque l’objectif est de fidéliser le consommateur autour d’une typicité aussi régulière que possible : cette stratégie est poussée au plus haut point en Champagne avec Chardonnay, Pinot noir et Meunier, sachant en outre que la stratégie suivante des assemblages ‘parcelles’ est aussi intégrée, et très souvent aussi les assemblages entre millésimes.

  • L’assemblage de plusieurs parcelles aux caractéristiques différentes où chacune joue en fait le rôle d’un cépage, avec un cépage unique ou largement dominant ; par exemple : Cot (Malbec) de plateau à Cahors apportant la structure et le type dominant, assemblé au Cot de plaine (avec un peu de Merlot) améliorant l’équilibre et le fruité ; de nombreux exemples existent, notamment en Bourgogne avec le Pinot noir même si la communication porte sur un terroir restreint ("clos") et le cépage unique.

  • Le coupage entre des vins différents concerne les vins de consommation courante ; il est pratiqué notamment par le négoce lorsque les vins sont en soi difficilement consommables mais où leur mélange retrouve un équilibre acceptable ; c’est le cas de vins concentrés à degré élevé (exemple historique des vins d’Algérie, de l’Oranais en particulier) mélangés à des vins légers à faible degré du Languedoc (à base d’Aramon notamment) ; il est à noter aussi que la couleur peut être relevée par adjonction d’Alicante Bouschet ; dans ces cas il vaut mieux parler de coupage et non d’assemblage qui est un terme réservé aux vins de hautes qualité et complexité.

Ceci étant, d’autres vins s’affichent ‘de cépage pur’ et connaissent grand succès international. Toutefois la plupart d’entre eux résultent d’un mélange de parcelles souvent très diverses dont le dénominateur commun est le climat régional. C’est ce que l’on peut qualifier d’assemblage ‘non-dit’. C’est le cas des Indications Géographiques Protégées – Mono-cépage à base des variétés connues au plan international comme pour les vins de Pays d’Oc : Chardonnay, Sauvignon, Merlot, Cabernet-Sauvignon, Syrah. Mais en outre, la règle des 85% permet en fait un assemblage avec un autre cépage complémentaire à hauteur de 15%, chose couramment utilisée par exemple ‘Syrah’ avec 15% de Grenache noir et/ou de Carignan. Cette règle va sans doute aussi s’avérer fort utile pour introduire de nouvelles variétés, résistantes ou non, qui pourront se développer à hauteur de ces 15% et ainsi se faire apprécier et connaître avant d’être reconnues et demandées.


Il faut rappeler enfin qu’il existe de nombreux exemples relevant d’un assemblage ‘non-souhaité’. Ceci concerne les vins dont la typicité est centrée sur quelques éléments dominants identifiables et pour lesquels l’option du cépage pur et même du terroir unique est retenue. Ce cas se trouve majoritairement dans les vins blancs (exemples des vins d’Alsace de Riesling ou Gewurztraminer, ou du Viognier de château Grillet) ou rosés (exemples du Rosé de Tavel à base de Grenache noir, ou de divers Rosés de Cinsaut), mais aussi dans des vins rouges de primeur comme le Beaujolais avec le Gamay.

Pour revenir aux assemblages, il est intéressant de citer un exemple original. Mais avant, précaution oblige, rappelons que le choix d’un assemblage n’est pas le fruit d’une démarche scientifique ; il y a certes un peu de technique, comme l’essai de diverses proportions graduelles afin d’en déterminer l’optimale, mais fondamentalement il s’agit d’une démarche plutôt artistique comme le choix d’un mélange de couleurs en peinture ou celui d’un mélange de saveurs en cuisine. Cet exemple est celui d’un complément à trouver à un vin Pinot noir.

Sacrilège, dirait-on en Bourgogne, où ce grand cépage géniteur de bien d’autres aussi grands, se suffit à lui-même et où le terroir exprime la palette de son potentiel. Oui mais voilà : tous les vignobles capables de cultiver le Pinot noir n’ont pas le climat des grands millésimes bourguignons ni l’emplacement privilégié des cœurs de côte de Nuits ou de Beaune (série des figures 1)… et pourtant leur vin de Pinot noir a bien des qualités : une belle harmonie, un fruité saisissant autour de la griotte, une longueur certaine ! Il leur manque un peu de fraîcheur et de complexité. Alors, oui, dans ce cas, tout en cherchant à obtenir l’essentiel de la typicité du Pinot noir, il n’est pas absurde de songer à un assemblage. C’est le cas de vignobles plus chauds que ceux de Bourgogne (mais avec le changement climatique ces derniers ne pourraient-ils pas d’ailleurs réfléchir à un petit complément d’assemblage avec un autre cépage ?).

 


Figure 1a. Côte Bourguignonne près de Vosne Romanée. Pinot noir âgé à haute densité
Figure 1b. Pinot noir conduit en Espalier bas étroit avec effeuillage en Bourgogne
Figure 1c. Grappe caractéristique de Pinot noir

 


L’idée m’est personnellement venue en liaison avec un vigneron du Haut Languedoc (figure 2) de tenter diverses combinaisons parmi lesquelles la plus révélatrice fut celle du Petit Verdot (série des figures 3).

 




 

    Figure 2. Vignoble en Lyre planté en Pinot noir et Petit
    Verdot (ici sur la photo) à 350m d'altitude en Haut
    Languedoc



 

 

 

 

 

Figure 3a. Petit Verdot en Médoc
Figure 3b. Feuille et grappe caractéristiques du Petit Verdot

 


En effet ce Petit Verdot qui se marie si bien avec Merlot et Cabernet-Sauvignon, mais aussi avec la Syrah, apporta la fraîcheur, la tenue en bouche qui manquait un peu au Pinot noir, avec ce supplément aromatique de la fleur et du petit fruit. Au total, l’assemblage ‘Pinot noir –
Petit Verdot’ était incontestablement plus élégant, complexe et agréable que les vins des cépages purs : bref, en termes de généticien, une ‘hétérosis’ sensorielle inattendue qui fit dire à certains qu’il valait beaucoup de bourgognes !

Seuls mes proches ont pu à ce jour approuver un tel choix. Et puis un beau jour de décembre 2016 au cours d’une mission en Uruguay où je compte de nombreux amis, j’ai découvert que je n’étais pas seul au monde (question ‘assemblage’ naturellement) et qu’un grand domaine appartenant à la famille Pisano, cultivait Pinot noir et Petit Verdot, ce qui ne me surprit point), mais, oh surprise, proposait une bouteille d’assemblage Pinot noir – Petit Verdot (série des figures 4) : sa dégustation nous conforta dans l’intérêt de ce choix ! Cette conjonction me conforta dans l’idée de rédiger cette chronique à l’attention de toutes celles et de tous ceux qui aiment qualité et innovation.

 

Figure 4a. Petit Verdot conduit en Lyre au Domaine Don Delmiro en Uruguay
Figure 4b. Vignoble Pisano en Uruguay (ici le Torrontes)




 

 



 

   Figure 4c. Bouteille de l'assemblage "Pinot noir - Petit
   Verdot" de Pisano (Uruguay)

 

 

 

 

 

 

Le lecteur attentif doit certainement se poser la question des proportions. Ce point est certainement à adapter aux divers terroirs concernés et aux millésimes, mais la proportion de Petit Verdot semble se situer dans une fourchette élevée de 20 à 40%.

Un dernier point : y-a-t-il une conduite spéciale à réserver au Pinot noir comme au Petit Verdot dans de telles situations ? Il se trouve qu’en Haut Languedoc comme en Uruguay, c’est la Lyre qui est utilisée : est-ce un signe ?...

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