Chronique 2017.05

 

GEL DE PRINTEMPS au printemps 2017 en Europe et dans le Jura Suisse
Une solution technique d'aspiration intéressante, mais pas de solution génétique !
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Alain CARBONNEAU

 

Beaucoup de vignerons sont tristes en ce printemps 2017 à cause d'un épisode de gel assez répandu en France (exemple : certaines parcelles basses du Languedoc et de Provence, Saint-Emilion) et en Europe (exemple : en Allemagne ou en Suisse). Le réchauffement climatique en est paradoxalement la cause fort probable dans la mesure où le débourrement et le début de la croissance ont été relativement précoce en raison de températures au-dessus de la moyenne, et où après du fait de mouvements importants des masses d'air, certaines très froides ont envahi des zones méridionales. Il convient de prendre en compte ce risque de gel de printemps plus que jamais !

 

Une solution technique de lutte intéressante : l'aspirateur !

On ne saurait que trop recommander dans les zones à risque de favoriser un bon aoûtement gage d'une bonne mise en réserve, de ne pas établir les vignes trop près du sol (même chose pour retarder les attaques de pourriture), de conserver un sol nu sous le rang, évidemment de privilégier les parcelles où l'air peut s'écouler facilement ; et dans des cas extrêmes sous condition de rentabilité, d'installer des dispositifs de lutte contre le gel par ventilation de l'air plus chaud à quelques mètres du sol, ou par chauffage, ou une combinaison des deux, éventuellement par aspersion. Une technique a été peu diffusée jusqu'à ce jour, c'est l'aspiration et l'évacuation de l'air froid en bas de parcelle qui est certainement la plus économique et qui s'avère efficace, au moins dans le vignoble où je l'ai découverte : les établissement Juanico en Uruguay dans la région de Canelones en zone Est (Figures 1a et 1b).

 

Figure 1. 1a (gauche) : Aspirateur à air froid installé à l'angle bas d'une parcelle gélive dans le vignoble Juanico. 1b (droite) : Détail des pales tournantes à l'intérieur de la coque provoquant l'aspiration.

 

 

Absence de solution génétique : les hybrides gèlent !

Une autre approche est celle de la génétique. Il est simplement recommandé de ne pas planter des variétés à débourrement trop précoce. Mais à part cette précaution qui du reste n'a pas d'effet absolu en raison de l'imprévisibilité de la date du gel, la question qui se prose est : les hybrides tolérants ou résistants aux parasites sont-ils tolérants au gel ? Certains d'entre eux ont été sélectionnés à la fois pour  la résistance aux parasites et pour la tolérance au froid (grâce notamment au géniteur asiatique Vitis amurensis mais aussi Vitis riparia ou labrusca). Vis-à-vis du gel d'hiver de tels hybrides apportent une tolérance précieuse qui a été largement constatée en Europe Centrale (voir nos articles sur la Pologne). Qu'en est-il du gel de printemps ? Il n'y a pas véritablement de tolérance au gel de printemps chez les hybrides tolérants au gel d'hiver : le seuil de gel de -1,5°C est généralisable !


La visite que j'ai effectué le 20 avril 2017 dans le Jura Suisse à Soyhières chez le pépiniériste vigneron Valentin BLATTNER me l'a fait constater (figures 2a et 2b).

 

 

Figures 2. 2a (gauche) et 2b (droite) : gel total sur les pousses les plus avancées, dans deux parcelles voisines plantées en hybrides tolérants et conduites en cordon haut et libre (vignobles Valentin BLATTNER à Soyhières, le 20 avril 2017).

 


L'exemple du vigneron - sélectionneur Valentin BLATTNER


Profitons de cette opportunité du gel pour présenter sommairement la ferme de Valentin BLATTNER à Soyhières dans le beau Jura Suisse. La figure 3 montre les bâtiments de la ferme bien exposée, flanquée de la serre où se développent les semis et les jeunes vignes du programme de sélection d'hybrides tolérants au froid et aux parasites majeurs.

 

 

 

 

 

Figure 3. La ferme de Valentin BLATTNER dans le Jura Suisse, à Soyhières, au lieu-dit "Sur-la-fin" (effectivement bien nommé !), exposée au Sud, avec une serre en verre sur l'avant.



 

 

Les figures 4a et 4b montrent cette serre fonctionnelle où sont élevés les semis des croisements et les jeunes hybrides.

 

 

Figures 4. 4a (gauche) : Ensemble de la serre dédiée au programme de croisement 4b (droite) : Barquettes de semis en début de germination.

 

 

Les figures 5a et 5b illustrent les équipements de la ferme inscrite dans une démarche d'agriculture biologique, avec une petite aire de compostage et un bassin de retenue d'eau multi usages pour pallier le déficit estival.

 

 

Figures 5. 5a (gauche) : Aire de compostage près de la ferme et du premier vignoble. 5b : Retenue d'eau collinaire avec étanchéité assurée par une bâche plastic juste en-dessous des bâtiments.

 

 

L'environnement lui-même est typique du relief jurassien avec les crêtes et les combes issues de l'érosion en creux d'un anticlinal lié au plissement alpin. La carte topographique reproduite en figure 6 montre clairement les lignes de crêtes, ici Est-Ouest, dans le canton de Delémont du Jura Suisse, à côté duquel se situe Courroux lieu d'implantation d'un autre vignoble de Valentin BLATTNER. Juste au Nord, une cluse permet le passage vers Soyhières ; et un peu plus à l'Est en montant dans la combe, se trouve le vignoble principal de Valentin BLATTNER (*) à environ 350/400m d'altitude.

 

 

 

 

 

 

 

Figure 6. Carte topographique du canton de Delémont où l'on remarque Soyhières et l'emplacement de la ferme de Valentin BLATTNER (*)

 

 

 

 

Les figures 7 et 8 présentent les parcelles de vignes (un total déclaré de 8ha), toutes situées en coteau en exposition sud, enherbées, et conduites en rangs larges (3m) et en cordon haut avec port libre de la végétation conférant une architecture de type "tunnel" ou "rideau simple" si la végétation est peu épaisse et très retombante. Les troncs sont très hauts avec le fil porteur situé à environ 1,6m du sol, ce qui n'a pas empêché les dégâts de gel autour du 18 avril 2017.

 

 

Figures 7. 7a (gauche) : Vue générale du vignoble en coteau, dans une vallée haute de creux de combe à environ 350/400m d'altitude. 7b : Vignes adultes enherbées, larges (3m entre rangs) et hautes avec le fil porteur des bois de taille à environ 1,6m du sol (noter la présence de neige en exposition nord).

 

 

 

Figures 8. 8a (gauche) : Jeune parcelle en fin de formation. 8b (droite) : Autre jeune parcelle dans le prolongement du vignoble vers l'Est.

 

 

Les cépages cultivés dans ce vignoble sont essentiellement les hybrides issus de la création de Valentin BLATTNER qui a effectué des croisements entre des variétés hybrides tolérantes ou des espèces résistances et des variétés de Vitis vinifera. Il convient de citer : Un Cabernet Blanc (créé à Soyhières, en 1991), le Muscat Birstaler, le Cabernet Jura, le Cabernet Noir, le Millot Foch, le Cabertin, le Pinotin, la Réselle, la Petite Milo, l'Epicure, l'Amiel, le Labelle (les quatre derniers ont été créés au Canada) etc... Les variétés se référant au "Cabernet" ont le Cabernet-Sauvignon dans leur parenté. Tous ces cépages se trouvent dans le catalogue Vitis International Variety.


Valentin BLATTNER a fondé il y 25 ans, l'Institute of Ecology and Grape Breeding in Switzerland. En 2001, Silvia et Valentin BLATTNER se sont vus remettre la médaille d'or du Prix de l'Innovation Agricole Suisse, pour leur Muscat de la Birse, raisin de table blanc précoce et résistant.


Les vins méritent un commentaire. Pour faire et élever ses vins, Valentin BLATTNER s'appuie sur les techniques de viticulture et vinification traditionnelles. En 2002, au même concours de l'Innovation Agricole Suisse, Silvia et Valentin BLATTNER remportent la première place dans la catégorie Vin, avec le Vin blanc Valentin - Sélection VB 32-7, un cépage de type Sauvignon, résistant au gel et aux maladies, dont le vin développe des arômes de fleur de sureau et de fruit de la passion.


Nous avons pu nous procurer deux des vins de Valentin BLATTNER dans un commerce à Soyhières, Voici nos commentaires.

 

  • Cuvée Olivia 2015 Jura rouge 13°5 (assemblage de plusieurs hybrides) :
    Couleur dense violacée.

    Nez assez intense de bourgeon/feuille de cassis, de petit fruit sauvage, de poivre ; évolue à l'oxydation vers des notes animales et chimiques (marque de certains cépages hybrides).

    Arôme de bouche dominé par les petits fruits sauvages et le cassis.

    Acidité présente sans agressivité.

    Structure et tannacité moyennes avec une pointe d'astringence et d'amertume.

    Équilibre général assez bon, mais assez court.

    Moyennement persistant et finale plutôt végétale.

    Globalement, vin rouge assez typique des vignobles septentrionaux, malgré un terroir limite pour la maturité et le risque de gel, avec le grand avantage d'une viticulture durable grâce à de bonnes pratiques et des cépages tolérants aux parasites. Le prix de 21,5 francs suisses la bouteille en petit commerce est trop élevé par rapport à la qualité : mais la rareté du produit et sans doute aussi les rendements limités par le gel l'expliquent.


  • Cuvée Réselle 2015 Jura blanc 11°5 (monocépage) :
    Couleur jaune moyen.

    Nez assez intense floral, de miel, de fruit confit.

    Arôme de bouche de fruit confit ; assez évanescent et évolue vers des notes de verdeur.

    Acidité moyenne apportant une certaine fraîcheur.

    Impression de gras qui équilibre et présence de sucres résiduels (10g/l ?) qui peuvent gêner.

    Moyennement persistant et finale plutôt végétale.


    Globalement, vin blanc assez typique des vignobles septentrionaux, avec des arômes intéressants et un rééquilibrage par le sucre. Le prix de 18,5 francs suisses la bouteille en petit commerce est trop élevé par rapport à la qualité : mais la rareté du produit et sans doute aussi les rendement limités par le gel l'expliquent. Avantages de durabilité identiques au précédent.

 

En conclusion, il convient de louer les effort et les résultats de Valentin BLATTNER qui s'investit de façon créative dans la viticulture durable. Toutefois, ses hybrides ne résolvent pas le problème du gel de printemps, ce à quoi il fallait s'attendre, et produisent des vins certes tout à fait acceptables mais qui révèlent un font "hybride classique" qui nous empêche de les classer sans hésitation au rang des cépages qualitatifs. Il faut néanmoins s'abstenir de généraliser à l'ensemble de ses variétés, et essayer de faire la part du terroir naturel qui est vraiment "limite" pour la viticulture dans le Jura Suisse. Il convient en tous cas de rappeler les bons résultats en Languedoc dans les vignobles Pugibet du Cabernet Jura.

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