Chronique 2017.03

 

Le Haut-Lirou : Exemple de reconstruction du vignoble
languedocien dans le terroir du Pic Saint Loup
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Alain CARBONNEAU


Le domaine Haut-Lirou de la famille de Jean-Pierre Rambier, réputé pour ses vins et l’œnotourisme en AOP Pic Saint Loup, mérite d’être présenté au titre d’exemple de reconstruction du vignoble languedocien. Il est situé au cœur de cette appellation qui a désormais acquis ses lettres de noblesse, près du village de Saint Jean de Cuculles et du village voisin du Triadou. Il se présente comme un joli mas restauré et intégré à l’environnement de pinède méditerranéenne (figure 1).

 

 

Figure 1. Domaine Haut-Lirou : ensemble des bâtiments au style de Mas languedocien traditionnel intégré à la forêt de pins d’Alep.

 

 

Avant de développer l’aspect viticole, il est intéressant de s’attarder un peu sur l’étymologie des noms environnants. Tout d’abord le pic Saint-Loup tient son nom d'une légende d'amour médiévale faisant état d’un ermite Thieri Loup retiré sur ce pic après une croisade. Quoi qu’il en soit, la forme du pic évoque une canine de loup ou une silhouette de loup hurlant !

 

Ensuite, Saint Jean de Cuculles : un nom qui prête faussement à sourire ! L’étymologie la plus vraisemblable vient selon l'étymologiste Alain Nouvel, d'une racine près-celtique (chalcolithique) du terme "kuk kuk", qui signifierait colline. D'autres noms de village de France, tels que Cucugnan, Montcuq, ou Cucurron ... auraient eux aussi cette même étymologie. Le village lui-même est certes situé sur une colline, mais surtout la vue grandiose du Pic Saint Loup s’impose à l’esprit tant cette magnifique colline de 658m d’altitude marque le paysage environnant. La toponymie nous montre déjà le trait majeur de ces terroirs qui est lié à une rupture du relief entraînant des particularités, tant méso-climatiques que pédologiques.

 

Enfin le nom du Triadou, village voisin, possède une étymologie particulièrement reconnue : triatorium, soit le parc triangulaire où l’on trie et compte les brebis. Ce sens nous renvoie immédiatement à l’agriculture sylvo-pastorale historique de cette région où l’élevage du mouton dans la garrigue dominait (figure 2). Rappelons que ‘garrigue’ vient du celte garric qui signifie chêne vert. La région du Pic saint loup n’est véritablement devenue viticole que très récemment, il y a moins d’un demi-siècle, quand l’homme, grâce à la force hydraulique des machines, a pu sous-soler et concasser un terrain caillouteux de garrigue. Nous avons là un magnifique exemple de terroir construit par l’homme et de valorisation de la nature : le terme de ‘reconstruction’ n’est pas usurpé !

 

 

Figure 2. Paysage historique du Pic Saint Loup attesté par le tableau "Les Garrigues du Pic Saint-Loup" d’Eugène Castenau en 1859 (huile sur toile exposée au musée Fabre de Montpellier). Source Wikipedia.

 

 

La géologie du Pic Saint Loup est intéressante à résumer (figure 3). Il s’agit du résultat de la tectonique pyrénéenne sur des formations de calcaire dur du jurassique supérieur qui  ont alors été plissées et faillées, puis érodées à contre-bombement selon le mode jurassien en combes et crêts. Le soulèvement pyrénéen, approximativement est-ouest, se produit au milieu du Crétacé pour atteindre son apogée  au début du Tertiaire (Eocène), en raison de la montée vers le nord de la plaque ibérique due à l'ouverture du golfe de Gascogne, de sa collision avec la plaque continentale européenne qui la chevauche. Le soulèvement alpin plus tardif et approximativement nord-sud finit de travailler ces reliefs. Le pic Saint Loup lui-même résulte de sa propulsion le long de la faille qui se trouve sur sa face nord, faisant émerger le calcaire dur du jurassique et remonter des sédiments plus profonds sur sa face sud (figure 3). En face, le massif de l’Hortus conserve son allure de plateau du Crétacé.

 

 

Figure 3. Extrait des publications des "Ecologistes de l’Euzières" montrant les étages géologiques de la région du Pic Saint Loup et du massif de l’Hortus, le pic lui-même étant du Jurassique, les failles résultant de la tectonique pyrénéenne est-ouest, l’érosion en combes et crêts de type jurassien.

 

 

Le paysage de la région du Pic Saint Loup impressionne en raison de son relief et de la succession des divers étages géologiques, en particulier le face-à-face "Hortus – Pic Saint Loup" avec cette ouverture extraordinaire en mâchoire  (figure 4), et le pic lui-même au ras de sa faille propulsé vers le ciel tel une dent (figure 5).

 

 

Figure 4. Vue depuis l’ouest du massif de l’Hortus à gauche et du Pic Saint Loup à droite, et de l’espace de combe dégagé entre les deux. Noter la présence d’éboulis au pied de ces deux massifs où se trouvent les vignes les plus hautes, la plupart étant en creux de combe ou sur des plateaux environnants. Source Wikipedia.

 

 

 

Figure 5. Vision pittoresque de la "dent du Pic Saint Loup" lié à la forte tectonique qui a faillé et fracassé les côtés et les crêtes d’une combe. Source Wikipedia. Noter qu’au milieu de l’éboulis nord du pic (carré jaune) se trouve sous forme de longs cordons au sol, une des rares vignes sauvages de la région, une Vitis vinifera silvestris femelle.

 

 

Située entre mer Méditerranée et Cévennes, l'Appellation d’Origine Contrôlée Coteaux du Languedoc - PIC SAINT LOUP, est une des plus septentrionales  appellations du Languedoc. Treize communes recouvrent l'AOC, ou en traduction européenne AOP, du Pic Saint Loup, dont l'altitude moyenne avoisine les 150 mètres. La garrigue adaptée aux sécheresses estivales se compose de différentes essences méditerranéennes comme le chêne vert, le chêne Kermès, le pin d'Alep, l'arbousier, le genévrier ainsi que thym, laurier, cade, romarin, ciste, qui se retrouvent en partie dans la palette olfactive des vins du Pic Saint Loup. 

 

Plusieurs types de sols composent l'appellation (du calcaire dur aux marnes), et les facteurs climatiques, bien particuliers de la région du Pic Saint Loup contribuent à la spécificité de ses vins. Par rapport à l’environnement climatique méditerranéen général du Languedoc, cette région présente des nuits plus fraîches pendant la maturation, et une contrainte hydrique plus atténuée. Elle fait partie de la zone climatique ‘méditerranéenne – tempérée’ à haut potentiel qualitatif que nous avions identifiée entre la région du Salagou/moyenne vallée de l’Hérault et le piémont cévenol vers Uzès/Alès (PAV 2002 n°5). Son relief et ses pentes diversifient les expositions, mais aussi accentuent certains excès de la pluie.

 

Les cépages les plus courants sont la Syrah, le Grenache et le Mourvèdre. Les vignes sont conduites en Espalier classiques avec des écartements entre rangs de l’ordre de 2m et des tailles en cordon de Royat généralisées. Des dégustations des grands vins de l’AOP sont organisées en particulier sur les domaines du Haut Lirou et de Mortiès.

 

La figure 6 montre une parcelle de vigne en Espalier classique, à 2,2m d’écartement entre rangs, à palissage haut bien implanté, taillée en double cordon de Royat, dans un sol argilocalcaire caillouteux, les cailloux étant d’ailleurs regroupés sous le rang afin de limiter la pousse des mauvaises herbes et l’évaporation du sol dans la zone de fort enracinement.

 

 

Figure 6. Vignoble classique de l’AOP Pic Saint Loup, au début du
débourrement, avec à l’horizon au nord la vue du Pic Saint Loup.

 

 

Le domaine Haut-Lirou. C’est un des fleurons de l’AOP ‘Pic Saint Loup’. Il est particulièrement représentatif des terroirs de la partie méridionale de l’appellation. La figure 7 illustre une de ses parcelles parmi la centaine au total, située près du mas et de la cave, dont il convient de préciser quelques points. Le Mourvèdre exprime bien sa typicité dans ce terroir et intervient dans l’élaboration des meilleurs assemblages rouges avec la Syrah et le Grenache noir (également avec un peu de Carignan en vieilles vignes).

 

 

Figure 7. Parcelle de Mourvèdre conduite en Espalier classique au
Domaine Haut-Lirou en sol argilocalcaire très caillouteux assez profond.

 

 

La figure 8 montre dans cette même parcelle un aspect particulier de la taille en double cordon de Royat : la présence de cordons secondaires ou ‘épaules’, liée au départ à un choix de coursons un peu longs (3 bourgeons francs au lieu de 2 maximum), et finalement facteur d’augmentation des réserves près des grappes et de meilleure aération des raisins. Finalement c’est un bon choix.

 

 

Figure 8. Double cordon de Royat avec ‘épaules’ sur Mourvèdre.

 

 

Dans l’ensemble le vignoble est conduit de façon très classique au niveau du système de conduite et de l’entretien du sol par interventions mécaniques. La protection est de type raisonné avec des pesticides de synthèse classiques, mais avec seulement 4 pulvérisations par an en raison de la pression parasitaire limitée dans ce secteur. La discussion porte aujourd’hui sur un modèle global de viticulture durable.

 

Les vins de Haut-Lirou font honneur à l’appellation. La figure 9 présente le chai de vinification avec un ensemble de cuves inox de 50hl possédant chacune un chapeau flottant, très utile pour optimiser les extractions. Une réflexion concerne l’arrêt du levurage systématique pour essayer de favoriser le travail des ‘levures de terroir ou de Haut-Lirou’. Il est à noter la qualité de l’ensemble des bâtiments (bureaux, exploitation, chai de vinification, chai de vieillissement, salle de dégustation) : la figure 9 l’illustre avec l’ouverture du chai vers le paysage environnant souligné par des cyprès et les vignes.

 

 

Figure 9. Chai de vinification du Haut-Lirou particulièrement sobre,
esthétique et bien tenu.

 

 

Les vins de Haut Lirou expriment-ils le terroir du Pic Saint Loup et du Haut-Lirou ? Voici d’abord un bref compte rendu technique d’une dégustation effectuée en mars 2017 et organisée par une de nos anciennes élèves Marie Baralon Maj Ingénieur agronome-œnologue responsable technique du Haut-Lirou et du Mas du Notaire, en présence de Jean-Pierre et Maryse Rambier et de leur fille Mireille. Le tableau ci-dessous résume les notes de l’analyse sensorielle faite avec les critères de la société de ‘sommelier conseil’ Hapiwine.

 

 

Tableau résumé des notes sensorielles de vins du Haut-Lirou (mars 2017)
NB : caractères notés de 1 (faible) à 5 (maximum)

 

 

 

Ces vins présentent une série de qualités communes que sont la finesse et l’expression optimale des cépages. Personnellement j’ai noté que, dans des terroirs relativement secs, la Syrah produit ici des vins harmonieux et souvent d’une grande délicatesse comme le Rosé ou la cuvée Constance rouge. La typicité de l’Appellation se retrouve aussi bien exprimée :

  • le fruité généreux des Costières de Nîmes rehaussé par le Marselan qui mériterait d’être porté à 30% de l’assemblage ;
  • les notes de fruits mûrs, d’épices, de garrigue (registre particulièrement ample) des AOP Pic Saint Loup, associées à la finesse des tannins où la Syrah décline son potentiel, soutenu par le Grenache et exhaussé par le Mourvèdre.


La cuvée phare, l’Esprit Haut-Lirou, exprime l’ensemble de ses qualités avec puissance et plénitude ; on pourrait encore renforcer le côté ‘buisson de garrigue’ avec davantage de Mourvèdre. Le nom de cette cuvée signifie bien qu’elle vise à offrir la quintessence des caractères de ce terroir ; il nous renvoie à l’œuvre de Maurice Barrès ‘La colline inspirée’ célèbre par la phrase « Il est des lieux où souffle l’Esprit… » : la figure 10 de la vieille chapelle du Haut-Lirou en est-elle le symbole ?

 

 

 

Figure 10. Vieille chapelle restaurée sur le domaine Haut-Lirou.

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